Comprendre par le corps
Voici un extrait palpitant du texte « Variations sur le corps » du philosophe Michel Serres, dans le chapitre « comprendre ».
« Reptile ou taupe, je me terre dans les trous, noirs et froids, cadavre déjà, mais aussi humus humide et roche sèche du terrier ou de la sape où les rejoignent les racines de l’arbre que je suis aussi, mais encore herbe et souris, écorce et taureau, abeille et glaïeul, ; goujon ou lamproie, je nage par les eaux fuyantes des fleuves ; alose ou saumon, je les remonte vers la source ou descends à la mer, mais, ondoyant, je les accompagne de ma chevelure visqueuse d’algues vertes, par le fond, et de mes fluides, je vais à leurs confluents mêlés ; turbulence aérienne et sautes de brise, je porte aigles et vautours, mais, aux heures d’intelligence, je plane, haut, sur mes paires d’ailes, hirondelle ou alouette, ou, faucon crécerelle, je volette, sur place, attentif à une proie, basse, à saisir de mes serres ; feu de Dieu, langue de feu, esprit de feu, branche ardente et salamandre, je flambe depuis ma naissance, jusqu’à ce qu’un petit tas de cendres, lourdes et mouillées, aille se fondre dans la roche et les boulbènes pour nourrir les vers de terre, ou se perdre, légères, élémentaires, volantes, par les flux de l’océan ou les nappes transparentes du vent. Immobile comme flore, vif et faune, primordial en tant qu’élément, fini et pieds tenus dans un lieu, thorax élargi à l’horizon, tête nuage et lumière, neurones volant par le vaste univers, de la montagne aux étoiles, pores grelottant au coin du feu, contracté, dilaté, dense et rare, dissous, liquide et forgé par le marteau et le brasier de la métamorphose, je ne suis rien d’autre que les autres choses, plus les autres hommes du monde. Alors et alors seulement je comprends. »
Pour ceux qui veulent découvrir plus en détails le texte de Michel Serres je ne peux que conseiller de lire ce magnifique petit livre.
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